L’histoire du premier V-Twin Harley-Davidson

Bien qu’indissociable de Harley-Davidson, le premier V-Twin n’est pas venu des Amériques et encore moins issu de l’usine de Milwaukee ! En route, si vous le voulez bien vers le début du 20e siècle et le temps des pionniers du motocyclisme.

Les premiers V-Twin : la french touch

Le monocylindre de Dion Bouton de 1895 est à l’origine des toutes premières motos dont la Harley-Davidson Silent Grey Fellow de 1903 et l’Indian de 1901.

V-4 Clément France 1902
Gustave Adolphe Clément prend la pose devant son incroyable « pétroulette ». La cylindrée de son V4 taillé pour les records de vitesse est de 1501 cm3 pour une puissance de 12 ch. En 1903, elle passe la barre symbolique des 100 km/h. Il faudra attendre 1982 pour voir un V4 de grande série avec les Honda VF Sabre et Custom.

Suite à cet exploit technique, la France fait office de leader en matière de motocyclisme. Les constructeurs hexagonaux Griffon et Adler réalisent un bicylindre en V, respectivement en 1904 et en 1905. Gustave Adolphe Clément goûte à la compétition en 1902, au guidon non pas d’un V-Twin, mais d’un V-Four !

En 1907, la victoire au premier Tourist Trophy (TT) dans la catégorie des bicylindres d’une Norton équipée d’un V-Twin Peugeot de 6 ch confirme le potentiel de cette architecture et le savoir-faire français.

Les Américains ne sont pas en reste

En 1903, Glen Curtiss devient le motocycliste le plus rapide au monde. Sur la plage new-yorkaise de Yonkers, il atteint 103 km/h au guidon d’un racer de sa conception propulsé par un V-Twin.

Dès 1906, la Hendee Motorcycle Company ( qui prendra le nom d’Indian en 1923) fait courir un boardtrack racer équipé d’un V-Twin. L’année suivante, la future firme Indian commercialise la toute première moto américaine de route utilisant un V-Twin.

1909 : le premier V-Twin Harley-Davidson

Fraîchement diplômé de l’université du Wisconsin en mécanique, William Harley se lance dans la création d’un bicylindre en V. Au lieu de créer un tout nouveau bloc-moteur, son idée de génie est de simplement greffer un deuxième cylindre sur le carter moteur de la Silent Grey Felow.

Pour se faire, William Harley utilise un pied de bielle en fourche qui associe dans le même plan les deux cylindres.

Cette motorisation établit les grandes lignes de toutes les V-Twin Harley-Davidson dont l’actuel Milwaukee Eight : un bicylindre calé à 45° de forte cylindrée unitaire.

Ce V-Twin est muni d’une poignée des gaz rotative et de poignées en caoutchouc. Ce sont deux premières dans l’histoire de la moto !

Les V-Twin de 1909 : un brouillon à revoir

Ce premier bicylindre de 811 cm3 est décevant, car il ne délivre que 7 ch. Le monocylindre de 1903 qui équipe la Silent Grey Fellow 1909, désormais fort d’une cylindrée de 494 cm3, produit 6,5 ch.

La même culasse que la jeep Willys

Ce faible rendement est à imputer à une paire de culasses IOE ( Intake/Inlet Over Exhaut) identiques au monocylindre De Dion-Bouton de 1903. Les soupapes sont dites automatiques, car c’est la dépression créée par la descente du piston qui les ouvre.

Ce système d’ouverture, peu performant à la base, s’avère dégradé par le fait que les deux soupapes d’admission se partagent le même collecteur « parasitant» l’admission du mélange frais.

La soupape d’échappement est latérale, commandée par une came.

La culasse IOE utilisée par Harley-Davidson de 1903 à 1929 se caractérise par une soupape d’admission placée au sommet du cylindre. Elle peut prendre le noms anglo-saxons de F-head ou de « pocket valve ».

Cette technologie très rustique équipera la Jeep Willys, les Indian antérieures à 1915 ainsi que certaines Rolls-Royce.

De plus, ce premier V-Twin Harley ne dispose pas du tendeur de la courroie en cuir. Il fait office d’embrayage de fortune et équipe le monocylindre.

Guère performante et difficile à vivre, seulement 27 prototypes ou préséries (selon les sources) du bicylindres sortiront de l’usine de Milwaukee contre 1200 monocylindres construits en 1909.

1911 : un V-Twin remanié

premier V-Twin Harley-Davidson
1911-harley-davidson-7d-twin : le « Renault Grey » sera le seul coloris proposé par la Motor Co. jusqu’à l’entrée en guerre des États-Unis en 1917.

Après l’arrêt de sa production durant une année, le premier V-Twin Harley-Davidson reprend du service. Sa cylindrée est portée à 819 cm3 et il prend la dénomination « 7D ». William Harley déplace la magnéto de l’avant vers l’arrière afin de changer l’aspect du V-Twin .

Les soupapes d’admission des culasses IOE sont désormais culbutées permettant des régimes plus élevés.

Dès 1912, le Model E adopte une cylindrée de 988 cm3 (environ 61 ci) ainsi qu’une nouvelle partie-cycle abandonnant toute filiation avec un vélo. Le biker fait désormais corps avec sa machine grâce à une assise surbaissée. Le confort n’est pas oublié avec une selle flottante utilisant deux généreux ressorts de 10 cm et des garde-boue enveloppants.

1913 : Une boîte de vitesses pour lutter contre l’ogre Indian

En 1913, Indian est le premier constructeur mondial avec plus de 30.000 motos vendues. La firme de George M. Hendee doit pour partie ce leadership en croisant régulièrement le fer avec les constructeurs européens sur leurs terres (TT et circuit de Brooklands). Dès 1914, Springfield propose l’Indian 2-Speed propulsée par un V-Twin de 988 cm3 accolé à une boîte à deux rapports et à une transmission finale par chaîne. Une moto moderne en somme !

La Harley-Davidson 10F 1914 : un modèle intermédiaire

Harley-Davidson Vintage
Harley-Davidson 1914 10F (« F » pour allumage par magnéto)

Milwaukee tente de rivaliser avec la version 10F dotée d’une boîte optionnelle à deux rapports placée dans le moyeu arrière. Fragile et capricieuse à régler, cet organe mécanique n’offre réellement qu’un point mort et un rapport. Malgré tout, les modèles 1914 apportent quelques avancées : démarrage par kick, repose-pieds et un frein à tambour à l’arrière.

1915 : Le premier V-Twin atteint sa maturité avec les Model F et Model J

Harley-Davidson V-Twin F-Head Model J
Harley-Davidson 11F

En 1915, les Model J (allumage par batterie) et Model F (allumage par magnéto) entrent en production. C’est l’avènement de la la première Harley-Davidson moderne !

Elle dispose de sérieux atouts : une solide boîte de vitesse à 3 rapports, un embrayage, une pompe à huile mécanique à huile perdue et une transmission par chaînes. Elle possède désormais un éclairage électrique à l’avant comme à l’arrière.

Le V-Twin F-Head de près d’un litre a pris du coffre. Il délivre environ 11 ch à 3000 tr/mn, soit un gain de puissance de 37% par rapport au millésime 1914. Le savoir-faire acquis par le service course ou Racing Department dirigé par Bill Ottaway paye ! En 1916, le Model F ou J s’envole avec 18 chevaux pour 147,5 kg. Ce millésime atteint 110 km/h en solo et près de 90 km/h attelé.

Pour se faire, le V-Twin de 1915 subit une refonte totale. Les culasses accueillent des grosses soupapes d’admission et les sièges sont à 45°. Le profil des cames plus agressif. Le bas moteur est également revu. Le maneton est d’un plus grand diamètre (1 pouce) et il reçoit un roulement des bielles plus large.

première Harley-Davidson V-Twin
Harley-Davidson Type J 1917 : à partir de 1916, un nouveau réservoir de 12 litres plus arrondi fait son apparition. La partie gauche possède un compartiment pour l’essence et l’huile.

En 1917, le gris souris « Renault Grey » est abandonné au profil d’un vert olive à la demande de l’US Army. Ce coloris deviendra la peinture standard des Harley-Davidson jusqu’à 1932.

Les faits d’armes du premier V-Twin Harley

Première Harley-Davidson V-Twin
Deux légendes venues du Nouveau Monde : Harley-Davidson F-head & la Ford Model T.

En 1916-1917, un corps expéditionnaire commandé par le général Pershing, fort de huit Harley-Davidson side-cars équipées de mitrailleuses, est envoyé au Mexique pour mater la guérilla du Chihuahua menée par Pancho Villa et Emilio Zapata. C’est la première fois où le constructeur moto est associé à l’US Army, mais c’est loin d’être une dernière !

Le 6 avril 1917, les États-Unis déclarent la guerre à l’Allemagne suite aux attaques de leurs navires civils par des sous-marins U-Boots.

Lors de la Première Guerre mondiale, Milwaukee fournit 20.000 Harley-Davidson Type J et F qui débarquent en France dans les ports de Boulogne-Sur-Mer et de Saint-Nazaire avec les « sammies ».

Première Harley-Davidson V-Twin

Le 12 novembre 1918, le Caporal Roy Holtz est le premier américain à entrer en Allemagne, au guidon d’une Harley-Davidson type J, bien sûr !

Selon les sources de l’époque, la moitié de la production totale de 1917 et 1918 de la Motor Compagny sera versée dans l’US Army contre la totalité pour Indian. C’est un tournant dans la rivalité qui unit Milwaukee et Springfield.

La moto qui a mis à mal l’industrie motocycliste française

Inconnu en France avant 1917, les Harley-Davidson ayant participé au premier conflit mondial ne seront pas rapatriées, mais revendues au titre des surplus de guerre.

Du fait de son extrême solidité, avec son litre de cylindrée et son raffinement technique, le premier V-Twin Harley fera sensation. L’industrie motocycliste hexagonale n’était alors faite que de petites cylindrées monovitesse à courroie. Les pionniers de l’industrie motocycliste française qui avaient inspiré Bill Harley et les frères Davidson courraient d’autres lièvres : l’automobile et l’aviation.

Le présence de nombreuses Harley-Davidson bon marché empêchera la création d’une solide marque de moto française d’exception durant l’entre-deux-guerres.

En 1920, le Model J s’illustrera en compétition en remportant le premier Grand Prix de France de l’après-guerre en catégorie side-car.

Les Harley-Davidson, gourmandes en huile et essence, seront finalement remisées aux fonds des granges avec la crise de 1929.

Le V-Twin F-head : près de deux décennies de règne

premier v-twin harley-davidson
L’histoire du premier V-Twin Harley se termine par un « Happy End » avec la JDH 1200 produite en 1928 et 1929. Cette moto adopte les enseignements venus des boardtrack racers avec une distribution à deux arbres à cames. Forte de 29 chevaux pour 185 kg, cette première superbike américaine atteint 150 km/h de série.

De 1917 à 1929, toutes les Harley-Davidson 1000 cm3 comme 1200 cm3 (à partir de 1921) à moteur F-head (désignation-usine du moteur : « J ») porteront le nom de « Model J » précédé du millésime.

Naturellement, le Model J sera amélioré au fil des années : frein avant, fourche renforcée et puissance en hausse grâce aux acquis issus du boardtrack et du flat track.

Conçu une décennie après les derniers chariots partant vers l’Ouest, la crise de 1929 aura raison du premier V-Twin Harley. Il est remplacé par le Flathead moins couteux à fabriquer, le fameux « laté », qui connaîtra une carrière toute aussi trépidante !

Dès les années 20 , cette solide mécanique sera modifiée par les premiers custom builders créant les cut-down. Ces motos préparées à la mécanique indestructible côtoieront les bobbers des 40’s avant de prendre une retraite bien méritée au tournant des années 40-50.

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Laurent Blasco-Calmels

Laurent, passionné par les belles mécaniques en tous genres & curieux des nouvelles technologies. Ex journaliste & auteurs de plusieurs livres bien avant que cela soit "trendy".

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