R80 GS (1980-1987) : La moto qui sauva BMW

En matière de moto, il y aura un avant et un après la BMW R80 G/S. La Munichoise fait partie des quelques machines qui ont marqué l’histoire de la moto au même titre que la Triumph Speed Twin (1938) et la Honda CB750 (1969). Toutes trois ont changé très profondément la pratique motocycliste et la définition d’un deux-roues motorisé.

En ce qui concerne la BMW R G80 G/S, elle invente un nouveau genre, le trail routier qui sera décliné à l’infini.

Le paysage moto avant la BMW R 80 G/S

Suite aux événements de 1968, il souffle également un vent libertaire dans le monde de la moto avec la «moto verte » qui veut démocratiser la pratique du tout-terrain. Nous voyons apparaître la Honda XL250 (1972) suivie par le trial grand public Yamaha TY 125 (1975).

1976 marque l’arrivée sur le marché d’un trail monocylindre 4 temps de grosse cylindrée avec la Yamaha XT 500. La firme d’Hamamatsu réalise avec cette machine un véritable coup de bonneteau. Dans les faits, le monocylindre japonais n’est qu’un gros scrambler fiable passé à la moulinette du marketing pour lui donner le nom plutôt nébuleux de « trail » .

Malgré la sortie de la BMW R série 5 en 1969, la division moto de la Bayerische Motoren Werke est en très grand difficulté au milieu des années 70, attaquée de toutes parts par les productions japonaises dont les nouveautés s’enchaînent. Son état financier est tel qu’un scénario à la Norton, comprenez une fermeture pure et simple n’est pas exclue…

BMW : Un ADN forgé par l’Enduro

L’implication de la firme munichoise aux Concours des Six Jours Internationaux ou ISDT remonte aux années 20. Elle dominera l’épreuve de la tête et des pieds durant l’accession au pouvoir d’Hitler. Après une première victoire en 1933 au Pays de Galles, BMW organise à Garmisch-Partenkirchen en Bavière l’édition 1934. Revêtue de combinaisons blanches, l’équipe allemande amenée par le recordman de vitesse Ernst Henne remporte le trophée. En 1935, elle réalise la passe de trois et démontre au monde l’excellence de ses motos.

Après-guerre à Varese (Italie), le pilote de vitesse Walter Zeller impose avec le brio qui le caractérise sa R51/3 lors des ISDT 1951.

L’enduro sera un laboratoire pour la future BMW R 80 GS

En 1965, BMW engage l’enduriste Herbert Scheck (10 titres de champion d’Allemagne et 22 participations aux ISDT) surnommé le « gentil géant » en raison de son gabarit : 1,93 m. L’allemand s’avéra être un fin ingénieur, mais les rapports entre le constructeur allemand et le pilote seront souvent houleux.

BMW enduro ISDT
BMW pour les ISDT 1980 de Brioude (France)

En 1969, BMW est de retour sur les ISDT rebaptisés entre temps ISDE (International Six Day Enduro ou Concours International des Six Jours d’Enduro) qui se déroule en Bavière. Le constructeur a engrangé pas moins de 148 médailles d’or durant les 6 jours d’enduro et aimerait atteindre le chiffre magique de 150 breloques sur ses terres.

Deux prototypes utilisant un moteur de R75/5 sont engagés pour l’occasion. Les résultats sont très décevants aussi bien en 1969 qu’en 1970 et malgré la présence de 4 machines d’usine. BMW décrète que la R75/5 est inapte à la pratique du tout-terrain, car trop lourde.

herbert scheck en bmw enduro
Herbert Scheck en 1978. L’enduro sera le laboratoire d’étude de la R80 G/S

EN 1971, Scheck participe aux 6 jours qui se déroule sur l’Ile de Man en tant que privé. Il a réussi l’exploit de faire perdre 40 kg à la bête en la délestant de son démarreur et n’hésitant pas à percer le moindre boulon. Il remporte aisément sa catégorie et gardera sa couronne en 1973.

EN 1978 et avec l’instauration d’une classe des + de 750 cm3, Scheck est de retour dans les bonnes grâces de BMW. Il fournit des machines aux privés alors que Lazlo Peres, directeur des essais, mais également enduriste talentueux, réalise les motos d’usine.

La synergie entre Scherk et Peres opère : Le flat twin d’enduro ne fait plus que 125 kg contre 205 pour le roadster R65 !

Dès 1979, une écurie formée de 6 pilotes participent au championnat d’Allemagne et d’Europe et aux ISDE. Ces participations sportives doivent mettre en valeur la future R80 G/S.

Dans les faits, les GS d’enduro n’ont que peu de rapport avec le trail à venir si ce n’est la cylindrée et un immense savoir-faire. Ainsi, le flat twin des enduros provient de la R65 réalésée à 797 cm3 et non de la R80 comme cela sera le cas avec la R80 G/S.

En 1980, Rolf Witthöft, un ancien pilote Zundapp, impose sa BMW aux ISDE de Brioude (France) alors que Werner Shultz est sacré dans le championnat allemand en catégorie + de 750 cm3.

Mais les spéciales de l’enduro moderne sont désormais taillées pour les légers 2 temps dérivés des motos de cross.

1979 marque le renouveau du constructeur à l’hélice

Début 1979, la branche moto de BMW change de dirigeants avec désormais à sa tête Dr Eberhard C. Sarfert alors que Karl Heinz Gerlinger est bombardé directeur adjoint. Leur objectif est simple : Sauver BMW Motorrad.

Gerlinger donne son feu vert pour deux projets : Les trois et quatre cylindres à refroidissement liquide et injection qui donneront naissance aux BMW K75 et K100, mais également une moto plus classique dérivée de la machine d’enduro de 1978 conçue par Lazlo Peres.

BMW sait parfaitement que les gros trail monocylindres, Yamaha XT 500 et Honda XL 500 (1979) sont utilisés anecdotiquement en tout-terrain.

Les deux prototypes de machines d’enduro commandés à Laverda animés par un boxer twin de R60 réalésés à 800 cm3 sont mis au placard.

Le directoire de BMW Motorrad sait que seul un trail peut générer suffisamment de volume de ventes pour sauver la division moto.

Le développement de la BMW R80 G/S : la chasse aux kilos est ouverte

Dès 1979, Lazlo Peres présente à Karl Heinz Gerlinger le prototype de la future G/S qui est surnommé en interne « Red Devil ». 21 mois plus tard, la R80G/S est présentée au public. BMW a utilisé tout le bagage technique de Lazlo Peres et de Herbert Schek pour réaliser cette machine révolutionnaire.

La genèse de la BMW R80 G/S avec la « red devil »

BMW R80 G/S red devil prototype
Le prototype BMW R80 G/S « Red Devil »

Le choix du moteur de la R65 est rapidement oublié, car il génère trop de vibrations. L’ingénieur et fin pilote d’enduro, Rudiger Gutsche, sélectionne le moteur de la R80 (84,8 x 70,6mm) produisant 50 ch à 6500 tr/mn. Le choix de ce boxer twin est dicté par les dernières innovations techniques  faites par les ingénieurs munichois comme des chemises des cylindres traitées au Nikasil (revêtement associant nickel et silicone). Ce revêtement abaisse le poids du box twin de 4,5 kg et améliore également la fiabilité en générant moins de frottements mécaniques. Le flat twin R80 étrenne également un nouvel embrayage et un volant moteur allégé de 4,7 kg.

Au niveau de la partie-cycle, on puise dans la banque d’organes du constructeur. Le cadre double berceaux provient de la R65 alors que la fourche d’un débattement de 200 mm est issue de la R100/7. La partie-cycle se dote d’une solution technique inédite : Un monobras oscillant qui accueille la transmission acatène (cardan) baptisée « Monolever ». Il permet de grappiller quelques 2 kg.

Au final, la BMW R80 G/S « Red Devil » ne pèse que 165 kg à sec pour 50 ch contre 140 kg à sec et 32 ch pour la Yamaha XT500. Sa vitesse de pointe dépasse sans mal les 160 km/h alors que les gromono nippons plafonnent à 140 km/h minés par des vibrations destructrices. Certes, elle ne sera jamais la reine des wheeling, mais l’Allemande se paye même le luxe d’être équipée d’un frein à disque à l’avant !

Cerise sur le bavarois, l’architecture de type bicylindre à plat permet d’avoir un centre de gravité très bas favorisant les évolutions en off-road.

Cette moto hybride, à la croisée des chemin entre un roadster et un scrambler, porte donc fort logiquement les initiales G/S pour « Gelände/Strasse » soit « tout-terrain / route». Le message est on ne peut plus clair !

1980 : Le lancement du trail

BMW R80 G/S 1980 histoire

Deux semaines avant la grande messe de Cologne, BMW Motorrad convoque une bonne trentaine de journalistes de la presse moto à Avignon. Les journalistes s’avèrent très sceptiques à propos de la BMW R80 G/S en raison de son poids (185 kg en ordre de marche), de sa cylindrée et de sa transmission acatène qui semblent de prime abord peu compatibles avec le tout-terrain. Le pisse-copie tout comme le motard lambda est frileux lorsqu’il s’agit de nouveautés…

Après un essai de 45 mn entrecoupé de quelques portions hors bitumes, le scepticisme général laisse place à de l’enthousiasme. Le verdict tombe : Cette moto agile peut s’aventurer dans les sentiers comme sur les autobanen. Elle n’a virtuellement aucun concurrent.

Fin 1981, BMW Motorrad enregistre la vente de 6.631 R80 G/S soit plus du double escompté ! BMW est sauvé et la R 80 G/S entre dans le panthéon des motos révolutionnaires.

1978 : Le Paris-Dakar

La moto de culturiste va trouver grâce à ce rallye-raid ultra-médiatisé, grâce notamment à Max Meynier (RTL), mêlant sport mécanique et aventure, un terrain à sa mesure. Elle va y inscrire sa légende.

Le journaliste de Moto Journal, Jean-Claude Morellet (alias Fenouil), engage une BMW Schek lors de la seconde édition du Paris-Dakar en 1979. Forte de 55 ch pour seulement 150 kg, le flat twin démontre tout son potentiel sur le sol africain. Malheureusement à deux jours du terme de la course, une bielle lâche. En 1980, Fenouil et Hubert Auriol participent au marathon mécanique sur des BMW à partie-cycle Scheck. Auriol est mis hors course et Fenouil termine à une honorable 5ème place.

Les BMW GS dansent la « Saga Africa« 

1981 voit le début de la commercialisation de la BMW R80 G/S. BMW marque le coup et aligne sur la classique africaine pas moins de 4 bicylindres de 55 ch munis d’un réservoir de 42 litres construits par le préparateur bavarois HPN. Auriol remporte l’épreuve et Fenouil termine 4ème. 1982 est une année blanche suite à des problèmes de transmission.

Hubert Auriol Paris-Dakar 1983
Hubert Auriol

En 1983, Hubert Auriol signe une deuxième victoire après 12.000 km de course au guidon d’un bicylindre « Scheck » construit en collaboration avec la concession Arcueil-Motor. Le flat twin est porté à 980 cm3 et produit 70 ch. Auriol désormais surnommé « l’Africain » remporte également la Baja 1000 ; une simple formalité !

BMW HPN Paris-Dakar 1985
La BMW HPN de Gaston Rahier

En 1984, un pilote de petit gabarit (1 mètre 64) fait grand bruit dans le bivouac après seulement quelques spéciales. C’est le pilote belge, triple champion du Monde de moto-cross, Gaston Rahier, rapidement adopté sous le sobriquet de « gastounet » par la caravane.

Le jockey belge manie avec une dextérité inégalée sa Grosse Bertha de 250 kg (64 litres d’essence) dans le désert du Ténéré à prêt de 180 km/h. Il franchit la ligne d’arrivée sur les bords du Lac Rose devant Hubert Auriol.

En 1985, la firme à l’hélice lui accorde à nouveau sa confiance pour mener à la victoire son bicylindre de 1050 cm3, ce qu’il fera avec brio.

« Qui gagne le dimanche, vend le lundi »

BMW trail paris-dakar
Plaquette publicitaire qui sent le sable chaud !

Cet adage, fort connu des sports mécaniques, sera confirmé avec la BMW R80 G/S. En 1987, Munich a vendu plus de 21.000 trails et l »éventualité de la fermeture de la division moto fait désormais partie des private jokes entre employés de la firme.

Dès 1984, BMW surfe sur ses succès africains. Une version « Dakar » singe les protos avec un réservoir de 32 litres, une selle solo, un porte-bagages, des pneus Michelin à crampons et des pare-cylindres. 3.000 exemplaires sont écoulés.

A partir de 1987, la Bayerische Motoren Werke fait feu de tout bois. Deux déclinaisons cohabitent avec la R80 G/S qui abandonne son « slash » et devient R 80GS : La R100 GS (60 ch et 76 Nm) et une R65 GS aux performances anémiques (27 ch et 43 Nm). Cette dernière sera un échec commercial.

BMW R100 G/S
Une BMW R100 GS

Les BMW R80 GS et R100 GS reçoivent une évolution majeure avec une suspension arrière Paralever. Celle-ci réduit les effets parasites de l’arbre et du cardan à l’accélération et est toujours utilisée sur les BMW actuelles.

Le gros trail routier est désormais partout

En 1993, une page se tourne. Les Munichois dévoilent une moto qui n’a pas plus rien de commun avec la R80 GS. La BMW R1100 GS adopte un boxer twin de nouvelle génération doté d’une distribution à arbres à cames en tête et d’un refroidissement mixte des culasses air/huile.

La Bavaroise abandonne sur l’autel de la performance, du confort et des qualités routières le côté baroudeur de la R80 GS de 1980.

La BMW GS, 4ème moto la plus vendue en 2020 en France et ceci malgré un tarif plutôt rondelet, aiguise les appétits chez les concurrents. Grâce à son extrême polyvalence, la GS est la moto à copier et tous les grands constructeurs doivent avoir un maxi-trail au sein de leur catalogue. Même Harley-Davidson va s’y mettre avec la Pan America 1250 dont la sortie est prévue courant 2020…

Fiche technique de la BMW R80 GS

Moteur

  • Type : Bicylindre à plat 4 temps ou flat twin
  • Distribution : Culbutée à 2 soupapes par cylindre
  • Refroidissement : Air
  • Cylindrée : 798 cm3
  • Alésage x Course : 84,8 x 70,6 mm
  • Puissance : 50 ch (36,8 kW ) à 6500 tr/min
  • Couple max. : 57 Nm à 5000 tr/min
  • Compression : 8,2 : 1
  • Gestion moteur : 2 carburateurs Bing Ø 32 mm à dépression
  • Allumage : Batterie-bobine et boîtier électro-magnétique
  • Carburant : Essence ordinaire plombée
  • Transmission : Boîte de vitesses à 5 rapports, acatène (cardan)
  • Embrayage : Monodisque à sec
  • Équipement électrique : batterie 12v/20Ah

Partie cycle & dimensions

  • Cadre : Tubulaire en acier à section ronde et ovale, double berceau
  • Suspension avant : Fourche Brembo télé-hydraulique à ressort simple
  • Suspension arrière : Type Monolever
  • Débattement avant / arrière : 200 mm / 170 mm
  • Pneus avant / arrière : 90/90 T 21 / 130/80 T18
  • Freinage avant : Simple disque de Ø 264 et étrier Brembo fixe à 2 pistons opposés (double en option)
  • Frein arrière : Tambour simple came Ø 200 mm actionné par tringle
  • Empattement : 1 465 mm
  • Poids à vide / poids à sec : 195 kg / 167 kg
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Laurent Blasco-Calmels

Laurent, passionné par les belles mécaniques en tous genres & curieux des nouvelles technologies. Ex journaliste & auteurs de plusieurs livres bien avant que cela soit "trendy".

2 réflexions au sujet de “R80 GS (1980-1987) : La moto qui sauva BMW”

  1. Ces motos étant des purs protos, il y a peu de chance que tu en dégottes une. Et je n’imagine même pas le tarif !
    Le mieux est de partir d’une GS pas « très fraiche » et de construire une réplique avec une fourche et un amortisseur d’enduro.
    La chose n’a rien d’insurmontable.

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