On ne saurait comprendre la domination quasi sans partage durant près de deux décennies de la Harley-Davidson KR 750 sur le sport motocycliste américain sans la fameuse « règle ou formule d’équivalence » ; une réglementation sportive qui s’apparente à du protectionnisme mâtiné de gros sous.
La règle ou formule d’équivalence
En effet, la Fédération Motocycliste US (AMA) a établi la « règle d’équivalence » (ou « Equivalency Rule ») en 1933. Cette réglementation n’avait qu’un seul but : favoriser les motos du cru (Indian, Excelsior et Harley-Davidson) face aux bicylindres britanniques à soupapes culbutées plus performants.
Les anglaises sont limités à 500 cc en catégorie reine (« Class C ») alors que la Motor Compagny se présente en course avec une KR à soupapes latérales de 750 cc ! Les anglaises sont donc désavantagées de 50% en terme de cylindrée.
Distribution culbutée et latérale
Les américains en compétition exploitent toujours une distribution « besogneuses » à soupapes latérales. Les motards américains n’en n’ont cure de ce «tripatouillage» de l’instance de l’Ohio. Chaque année 70 à 85 % de la production de motos anglaises est expédié outre-Atlantique dès les années 50) . Les mono ou bicylindres sont équipées d’une distribution à soupapes culbutées garante d’un bon rendement moteur.
En Europe, les motorisations à soupapes latérales n’équipent plus que de braves utilitaires.
La Harley-Davidson KR 750 va porter à son paroxysme les performances d’une architecture moteur que l’on retrouve désormais plus souvent dans une tondeuse à gazon que sur une moto !
La Harley-Davidson KR 750
La KR et sa version pour circuit, KRTT, succède en 1952 aux 750 WLDR et 750 KR.
Seule concession à la modernité, son architecture moteur est de type bloc-moteur (ou « unit ») comme le Model K (1952) puis KH (1954).
En 1957, le V-Twin reçoit une distribution culbutée qui acte la naissance du Sportster.

L’architecture du bas moteur de la KR est identique à un Flathead 45 cui dont les premiers modèles sont sortis en…1932 ! Les cotes du V-Twin (2,750 x 3,815 pouces) sont strictement identiques à celles d’une WLC de l’ US Army !
Quatre arbres à une came placés en éventail dans le carter de distribution (placé à droite) entraînent les soupapes. On retrouve cette distribution en cascade de pignons à la base du V-Twin sur le Sportster actuel ainsi que le racer culbuté, qui succédera, le XR 750 (1970).
Autre concession à la modernité, la 750 KR abandonne le passage des vitesses au réservoir de la WR au profil d‘un sélecteur de vitesses (4 rapports) au pieds placé à droite.
La KRTT 750
Il s’agit de la version dédiée aux courses sur circuits comme la Daytona 200. La KRTT, « TT » pour « Tourist Trophy », est équipée d’un frein avant à tambour, d’un bras oscillant et d’une paire d’amortisseurs.
Malgré un faible taux de compression et de remplissage inhérent à cette distribution, la KR va régner quasiment sans partage durant deux décennies sur le sport motocycliste US.
Ce dernier s’est professionnalisé dès 1953 avec désormais un vrai championnat de dirt track et non une course unique annuelle.
Gary Nixon remporte le championnat de flat track 1967 et 1968 ainsi que la Daytona 200 1967 au guidon d’une Triumph T100. Il y a le feu au lac (Michigan) du coté de Milwaukee !
Le directeur du département compétition de Harley-Davidson, Dick O’Brian, va utiliser des moyens dignes des missions Apollo pour rendre la laborieuse KR à nouveau performante.
En 1968, Harley-Davidson utilise les technologies de la Nasa
O’Brian demande au préparateur californien C.R. Axtell d’améliorer le rendement du latéral.
C.R Axtell possède l’un des premiers flowbench ; une soufflerie permettant de simuler les flux gazeux au sein d’un moteur. Jusque là, les préparateurs comme Jerry Branch ou Tom Shifton travaillaient de manière totalement empirique.
Grace à cette technologie, la puissance du flat twin progresse de 5 chevaux durant l’hiver 1967-1968.
Parallèlement, O’Brian se met en rapport avec la Californian Institute of Technology plus connue sous le nom de « CalTech » et qui travaille pour le programme spatial.
La soufflerie de l’université teste un carénage à l’échelle 1 sculpté par Dean Wixon, l’un des pionniers de la fibre de verre.
Le team Harley-Davidson se présente lors de la Daytona 200 1968 avec pas moins de 7 KRTT toutes recouvertes d’un nouveau coloris : noir et orange. Cette livrée sera la signature des motos courant pour le Racing Department du constructeur américain.
Roger Reiman décroche la pole à 241 km/h et les six autres KRTT sont dans le top 10.
Cal Rayborn amène à la victoire l’antique latéral à une moyenne de 161 km/h. Il remportera également l’édition 1969 de la Daytona 200.
C’est la dernière victoire de Harley-Davidson à ce jour dans ce temple de la vitesse états-unien.
La puissance du bicylindre de 750 cc gavé par 2 carburateurs Tillotson est d’environ 60 ch à la roue arrière soit 80 ch au litre ; un record pour une motorisation à soupapes latérales !
Mert Lawwill remporte le titre « Grand National AMA 1969 » en flat track malgré une opposition britannique de plus en plus présente.
En 1970, Lawwill sera l »un des personnage central du documentaire On Any Sunday filmé par Bruce Brown et produit par Steve McQueen.
Le palmarès de la KR 750 est l’un des plus riches de l’histoire de la moto
Le bicylindres à distribution latérale a gagné 150 courses nationales dont 100 en dirt track, 12 Daytona 200 auxquelles il faut ajouter un nombre incalculable de courses de districts. De 1954 à 1965, seul Dick Mann sur BSA a ravi le Grand National 1963 à la Motor Compagny.
Avec la fin de la formule d’équivalence, l’année 1970 marque l’arrivé d’une nouveau racer Harley-Davidson : C’est la XR 750.
Plus puissante que la KR 750 mais moins fiable, Lawwill fera « quelques extras » sur avec le 750 latéral qui reçoit pour l’occasion une paire de Mikuni qui lui font gagner 3 ch. supplémentaires. Le pilote dira : « Si je l’avais eu dès le début de la saison 1970, j’aurais gagné le titre ! ».
Fiche Technique Harley-Davison KR 750
Moteur
Architecture : V-Twin à 45° à 2 soupapes latérales par cylindre refroidi par air
Cylindrée : 741 cc (ou 45 cui)
Course x alésage : 2,750 x 3,815 pouces (69,85 x 96,9mm)
Boîte de vitesses : 4 rapports
Alimentation : carburateur Tilloston
Allumage : Magnéto
Puissance : Environ 45 ch à 6500 tr/mn (et 60 ch. pour la KRTT 1968)
Partie-Cycle
Fourche : Télescopique Ceriani
Suspension arrière : Rigide
Empattement : 1360 mm
Poids KR: 163 Kg (KRTT usine : 155 Kg)
Frein avant (KRTT) : Tambour Fontana
Frein arrière ( KRTT& KR) : Tambour Fontana
Divers
Production totale : Environ 500 racers
Vitesse de pointe KR : 177 km/h
Vitesse de pointe KRTT : environ 250 km/h