L’histoire du Sportster : la moto qui sauva Harley

Le Sportster est la riposte de Harley-Davidson à l’importation massive des motos anglaises sur le sol américain surnommée la « british invasion » par des anglo-saxons jamais avares en expression choc. Certaines années 80% de la production totale de Triumph, BSA, Norton, etc. prenaient la direction des États-Unis ! Le Sportster a traversé les décennies et bien des épreuves sans que son succès se démente.

Pourquoi le succès des anglaises dans l’Amérique des années 50 et 60 ?

Ces motos s’avèrent légères (170 kg), puissantes (45 ch) et donc ludiques. Face à cela, Milwaukee ne propose que la pataude Hydra Glide (environ 50 ch et 260 kg) à moteur Panhead qui fait la joie des forces de l’ordre…

La tentation de partir d’une feuille blanche fera pshitt

Harley-Davidson pensa un temps à une vraie rupture technologique en développant une gamme de monos ou de bicylindres parallèles. Mais l’échec d’Indian avec ce type de « motorisations exotiques » refroidira le constructeur et le ramènera à son cœur de métier : le V-Twin.

La Harley-Davidson Model K : plus qu’une ébauche du Sportster

Sportster 1957
Sportster 1957

Commercialisé en 1952, le Model K ne peut rivaliser avec les anglaises en raison de sa distribution désuète à soupapes latérales ne produisant que 30 chevaux.

En 1954, la cylindrée du V-Twin passe de 739 cm3 à 883 cm3 grâce à l’augmentation de la course donnant naissance au Model KH qui gagne 8 chevaux.

Les ventes de ces deux motos resteront anecdotiques avec moins de 4 000 exemplaires produits. Le palmarès sportif du Model K sera plus glorieux avec douze victoires sur la Daytona 200 entre 1955 et 1969 !

Pourtant la plupart des éléments qui feront le Sportster sont déjà présents sur les Model K ou KH :

  • Une architecture moteur-boîte monobloc (boîte séparée sur le Big Twin). Cette architecture dite « unit » sera utilisée par Triumph en 1963 !
  • Une boîte à 4 rapports.
  • Son ergonomie de moto moderne avec un embrayage manuel et un sélecteur au pied (droit).
  • Partie-cycle avancée avec un cadre double-berceau, des suspensions arrières oscillantes et une fourche hydraulique.
  • Des freins à tambour avant et arrière.
  • Un look « Touring » (jantes en 19 pouces, garde-boue enveloppants et gros réservoir de 17 l).

1957 : la naissance du Sportster XL

Le Sportster voit le jour en 1957, année où Elvis Presley est sur toutes les ondes et dans tous les drive-in avec « Jailhouse Rock ». Logiquement, les ingénieurs de Milwaukee greffent sur le KH une distribution par soupapes en tête. Le Sportster est né !

Sportster 883 ironhead

Le V-Twin

Le Sportster conserve la cylindrée de 883 cm3 (54 ci) du KH, une valeur toujours au catalogue Harley-Davidson en 2020. L’alésage est porté à 76,2 mm alors que la course est ramenée à une valeur plus modeste (96,84 mm) permettant d’envisager des régimes moteur plus importants.

Une distribution culbutée « bizarre »

L’intégralité du bas moteur du Model K est repris sur le Sportster. Les quatre culbuteurs sont actionnés par quatre cames montées sur des pignons placés en éventail dans le carter droit. Ce choix technique est hérité de la distribution du V-Twin Flathead 740 cm3 créé par Bill Harley en… 1929 !

1957 : des débuts en demi teinte

Harley-Davidson : histoire du Sportster
Publicité de Harley-Davidson datant du début des années soixante

Malgré l’adoption de la distribution culbutée plus efficiente en théorie, la puissance du Sportster 1957 plafonne à 40 ch soit un maigre gain de 2 ch par rapport au Model KH. De plus, le Sportster (224,5 kg à sec) est affreusement lourd par rapport à une anglaise qui pèse moins de 180 kg.

Malgré d’assez bons résultats commerciaux en 1957 (1983 exemplaires produits soit déjà 20% des ventes), Harley-Davidson se doit de revoir sa copie.

Sportster 1958 : enfin un ADN sportif

XLCH 883 55 cui
Sporster XLCH 1958 : agressif le bestiau !

En 1958 et suite aux retours des concessions surtout californiennes, le Sportster XL est épaulé par le XLH dont le « H » signifie « Haute compression ». Suite à un travail des chambre de combustion, sa puissance s’établit à 45 ch soit autant qu’une Triumph Trophy.

  • Le rapport volumétrique passe de 7,5:1 à 9:1.
  • Des soupapes de plus large diamètre font leur apparition.

Le millésime 1958 s’enrichit d’une version à l’habillage minimaliste baptisée XLCH, « CH » voulant dire « Competition Hot » ou « Californian Hot » selon les sources. Cette sportive de 55 chevaux et qui ne sera produite qu’à 239 exemplaires introduit deux éléments forts de l’esthétique du Sportster :

Sportster fonte 1000
XLCH 1000 1972 : 1972 marque le passage à la cylindrée de 1000 cm3 ou 61 ci. L’année suivante, le Sportster fonte adoptera un frein avant à disque.

En 1959, la XLCH se civilise en recevant de série un éclairage, des chicanes à l’échappement et un jeu d’arbres à cames moins pointus. Le pataud XL quitte le catalogue faute d’acheteurs.

 50 nuances de Sportster

XLA Harley-Davidson militaire
1964-1965 : 454 XLA furent livrées à l’armée américaine et à la police militaire. Qui l’eût cru ?

Le Sportster connaît un succès quasi immédiat car ses performances sont honorables mais également et surtout il est estampillé « Made In USA » !

Cette « moto transformiste » sera :

  • « baby tourer » avec la XLT en 1977.
  • « doux chopper » : XLS Roadster (1979) puis Seventy-Two (2012)
  • Café racer avec le Sportster XLCR 1000 (1977-1979).
  • Bobber avec le Forty-Eight (2010).
  • Roadster sportif : dérivé des XR 750 de flat track avec le XR1000 (1983) et XR1200 (2008).
  • Vraie sportive avec le XLR 883 (70 ch et 161 kg) produit entre 300 à 500 exemplaires de 1958 à 1971.

Le Sportster fera l’objet de deux séries spéciales

  • En l’honneur du bicentenaire de la Déclaration d’Indépendance des États-Unis (1976).
  • « Confederate Edition » produite à 400 exemplaires (1977).

Ces deux séries limitées ne diffèrent des modèles standards que par quelques décalcomanies apposées à la va-vite sur le réservoir « goutte d’eau ». Ce traitement explique bien la gestion calamiteuse de Harley-Davidson par AMF de 1969 à 1981.

Harley Fort-Eight
Forty-Eight : le best-seller qui malgré son look de bobber embarque les technologies les plus avancées (injection, multiplexage, ABS, etc.

Les deux grandes modifications des Sportster modernes (1986-2020)

1986 : le bicylindre Evolution

En 1986 soit deux ans après le Big Twin, le Sportster adopte la technologie « Evolution » qui est déclinée en 883 et 1200 cm3. Le 1000 Ironhead comptait 455 pièces dont des cylindres encore en fonte (sic). Ce nouveau bloc-moteur à cylindres et culasses en aluminium n’en compte plus que 426 dont 206 nouvelles.

Les poussoirs hydrauliques permettent un rattrapage automatique du jeu. Le Sportster Evolution rencontrera un large succès grâce à sa simplicité mécanique associée à une grande fiabilité.

2004 : un nouveau cadre

La deuxième évolution majeure du Sportster contemporain survient en 2004 avec le bicylindre monté « souple » dans le cadre à la façon d’une Norton Commando. Le V-Twin est désormais solidaire du châssis grâce à deux gros silentblocs et trois biellettes qui filtrent les vibrations. Cette solution technique est empruntée aux motos d’Eric Buell. Le réservoir d’huile prend place sous la selle.

Quel règne et quelle « versatilité » !

Chopper ironhead
Et pourquoi pas en chopper old school ?

Le Sportster n’est pas entré au panthéon des motos par des performances indécentes, un palmarès ou un design de madone. Trois choses en font une machine d’exception :

  • Une longévité exceptionnelle (64 ans) aussi bien dans le domaine de la moto que dans l’automobile.
  • Le Sportster est une « moto caméléon » qui peut se transformer à l’infini.
  • Elle a traversé près de la moitié de l’histoire de la moto.

Sportster : chronologie de 1957 à 2021

  • 1957 : Naissance du Sportster XL.
  • 1958 : Version XLH plus puissante.
  • 1959 : Disparition du XLC.
  • 1965 : Circuit électrique 12 volts.
  • 1967 : Démarreur électrique sur le XLH et greffe du carburateur Tillotson en lieu et place du Linkert.
  • 1968 : XLH adopte à son tour le réservoir « peanut » ou « goutte d’eau ».
  • 1969 : Harley-Davidson passe sous le contrôle d’AMF.
  • 1970 : XR750 (version directement dérivée du XLCH) et garde-boue arrière « Boat Tail » optionnel également proposé sur la FX.
  • 1971 : L’embrayage à sec est remplacé par un élément humide. Apparition du logo AMF sur le réservoir.
  • 1972 : Harley-Davidson procède au premier réalésage (80,6 mm) du Sportster qui fait passer la cylindrée de 883 cm3 à 1000 cm3. C’est la naissance du XL1000 qui produit 61 ch et réalise le 400 m D.A en 13 secondes 38. D’autres évolutions voient le jour avec ce millésime : nouvel embrayage à bain d’huile (à sec antérieurement), nouvel étagement de la boîte, nouvelle pompe à huile et un frein à disque.
  • 1973 : Clignotants et fourche Kayaba Ø 35 mm.
  • 1974 : Retour des gaz automatiques.
  • 1975 : Fourche Showa Ø 35 mm.
  • 1976 : Commandes aux pieds standardisées.
  • 1977 : Présentation durant la Bike Week de Daytona du XLCR.
  • 1978 : Harley-Davidson fête ses 75 ans et pour l’occasion, les Sportster. La ligne d’échappement avec une sortie de chaque coté dite « siamoise » ne sera pas reconduite par la suite, car elle est impopulaire. Roues à bâtons et allumage électronique Motorola.
  • 1979 : La gamme Sportster adopte les modifications faites sur le XLCR avec un nouveau cadre, un bras oscillant rectangulaire, roue arrière de 16 pouces et disque arrière.
  • 1980 : Abandon du kick qui n’équipait plus que la XLCH.
  • 1981 : nouvel échappement avec tube d’équilibrage. Harley-Davidson est repris par 13 investisseurs, dont Willie G. Davidson.
  • 1983 : Sortie des XR1000 et XLX61.
  • 1984 : Embrayage à diaphragme.
  • 1986 : V-Twin Evolution.
  • 1985 : Naissance de la Buell Motor Compagny qui débute son activité en achetant 50 moteurs de XR1000.
  • 1988 : Disparition du Sportster 1100 au profil d’une version 1200 cm3. Apparition du 883 Hugger surbaissé avec fourche plus courte et angle de chasse modifié. Fourche de Ø 39 mm et Keihin de Ø 40 mm.
  • 1991 : Boîte à 5 rapports et courroie crantée sur le 883 Deluxe et les 1200.
  • 1993 : Généralisation de la transmission finale par courroie crantée à toute la gamme. Une série limitée 90e anniversaire de Harley-Davidson.
  • 1998 : Le Sportster Sport gagne 6 ch et un double allumage. Le réservoir de 8,5 litres passe à 12,5 litres. Buell devient une filiale de Harley-Davidson.
  • 1999 : Sortie du Sportster Fat Bob doté d’un réservoir de 16 litres.
  • 2000 : Étriers de frein à quatre pistons.
  • 2001 : Les 883 Standard, Hugger et C53 gagnent 14% de puissance, ce qui les fait passer de 49 à 53 ch. Ceci est obtenu grâce à un nouveau filtre et des échappements moins restrictifs.
  • 2004 : V-Twin plus puissant monté souple sur silentblocs dans un nouveau cadre.
  • 2005 : Nouvel axe de roue arrière et nouveau bras oscillant.
  • 2006 : Présentation du XR1200 au salon de Cologne équipé d’une injection électronique.
  • 2007 : Abandon du carburateur Keihin CV (1988-2006) de 40 mm au profil d’une injection suite à l’entrée en vigueur de la norme antipollution Euro 3.
  • 2009 : Commercialisation du 883 Iron.
  • 2010 : Lancement d’un futur best-seller avec le Forty-Eight.
  • 2014 : ABS de série sur toute la gamme, circuit électrique multiplexé et nouveau calculateur d’injection Can-Bus.
  • 2021 : Arrêt de la commercialisation en Europe du Sportster car non conforme avec la norme Euro 5 et présentation du Sportster S à moteur Revolution Max T.

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Laurent Blasco-Calmels

Laurent, passionné par les belles mécaniques en tous genres & curieux des nouvelles technologies. Ex journaliste & auteurs de plusieurs livres bien avant que cela soit "trendy".

13 réflexions au sujet de “L’histoire du Sportster : la moto qui sauva Harley”

  1. J’ai toujours adoré le Sportster car justement cela avait était la réponse de Harley Davidson aux motos Anglaises que j’aimais beaucoup quand j’étais un enfant .C’est la Moto Anglaise que je voyais passé quand j’étais môme qui m’a rendu accroc à la moto .
    Plus tard ,une certaine CB 750 Honda me fit tourner la tête plus d’une fois !Aujourd’hui je suis l’heureux proprio d’un Sportster de 2004 qui me fait vibrer comme au premier jour
    ou j’ai étais la chercher neuve à la concession .

  2. J’ai passé mon permis motos en 1994 (à 21ans). Suite à ça j’ai découvert le fameux son potato potato lors d’une balade moto. Ce jour là je me suis dit : un jour j’en aurai une!
    Et 26 ans plus tard, après être passé par différentes montures japonaises, je suis enfin l’heureux, le très heureux propriétaire d’un forty eight. C’est un rêve qui se réalise, la vie faisant et les difficultés qui vont avec, je n’ai pu le faire que cette année. Mais quelle plaisir, quelle joie de pouvoir enfin me dire en la regardant : elle est à moi celle là!

    Laurent, ton site est très bien fait et j’ai pris plaisir à lire une bonne partie des sujets traités.

  3. Pour moi, la moto a toujours été HD.
    j’ai commencé sur une épave, pour le budget, d’une Yam RD350, puis maison, famille m’ont fait arrêter. Reprise plus tard avec des choppers, car court sur pattes, Honda VT500, puis Suzuki 600, retour Honda VT600. Ayant un peu marre, j’ai été sur Honda CBF600SA5 qui pouvait rentrer au lieu de parking de nuit.
    Ap. Après 15 ans de loyaux Services, j’ai enfin un garage et je suis depuis peu l’heureux propriétaire de ma 1ère Harley Davidson, XL1200T de 2020.
    Un rêve d’enfant qui se réalise enfin.
    Et avec cet article, j’ai appris l’histoire de la Sportster.
    Merci pour tout ces renseignements.

  4. Un bel historique pour un modèle iconique. En 1982 je me suis ruiné pour acheter un Roadster 1000 xls 25 ème anniversaire ( production:1638 exemplaires avec peintures speciales et emblèmes sur garde boue).
    Aujourd’hui elle est toujours dans mon garage et ne m’a jamais fait défaut. Je la considère vraiment comme une oeuvre d’art!
    Cordialement.

  5. Merci pour ce retour !
    J’ai un court article sur un Sportster Ironhead méconnu. Il faudra bien que je le mette en ligne un jour ou l’autre !
    Grand V et prenez soin de votre collector !

  6. Que d’infos ! Sur la moto avec laquelle j’ai renoué avec cette passion « de Tailler la route »après 25 ans d’abstinence. Un NIGHTSTER.

  7. Bonjour monsieur blasco .normal qu’avec un prénom pareil vous réussissiez un tel historique .bravo il est complet ,très bien illustré.que dire de plus que bonne continuation ,et bonne nouvel historique car un passionné tel que vous n’auras aucun mal à en transcrire un autre .et pourquoi pas d’autres marque .mais je suis certain que vous y avait déjà pensé bonjour d’un bikers du 04 .laurent .

  8. Bonjour,
    Merci d’avoir pris le temps de me lire et merci pour ce retour. En effet, j’ai une appétence sur l’histoire en général. Niveau moto, j’ai un article sur l’histoire de la marque Oural (c’est d’actualité !) qui traine sur le feu.
    Grand V, Laurent

  9. Bonjour ,
    La Harley , la moto mutante puisque customisable à l’infini . La Harley c’est un style de vie , une façon de cruiser que l’on soit mauvais garçon ou cool . En posséder une c’est entrer dans la légende . Je rêvais dans avoir une c’est chose faite avec un Sportster 883 de 86′.
    Merci pour cet article fort bien écrit on sent la passion mécanique .
    Grand V et bon cruise .
    Hervé

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